Les formes de méditation, de François Martin, Ecole Française de Méditation
N’y a-t-il qu’une seule forme correcte de méditation ?
Si on vous disait qu’il n’existe qu’une seule forme correcte de sport, le croiriez-vous ? Bien sur que non car à l’évidence tout dépend de la motivation que l’on a pour pratiquer un sport. De façon tout à fait légitime on peut souhaiter faire du sport pour l’une des raisons suivantes :
- S’amuser
- Rester en bonne santé ou se remettre en forme
- Nécessité professionnelle d’avoir une bonne condition physique (pompiers, police, ...)
- Préparation d’une compétition sportive locale
- Préparation des jeux olympiques
- ...
Ceux qui préparent les jeux olympiques auront une manière profondément différente d’envisager le sport par rapport à ceux qui souhaitent simplement s’amuser, et pourtant les deux objectifs sont tout à fait légitimes. Pour les premiers, c’est toute la vie qui sera puissamment disciplinée et organisée autour de l’entrainement sportif : rythme de vie, alimentation, entrainement mental, entrainement physique, ... Tandis que pour les seconds, on pourra tout à fait ne penser au sport que pendant les quelques minutes ou on improvise un jeu avec insouciance. Les deux approches sont valables dans leurs contextes respectifs.
La situation est tout à fait analogue pour la méditation. Le type de pratique correcte dépend entièrement de l’objectif poursuivit. Le but de la méditation pourrait être :
- Se détendre occasionnellement
- Entretenir sa santé mentale et éliminer le stress
- Nécessité professionnelle d’avoir un mental calme, détaché, clair et puissant (recherche scientifique, - - médecine, ingénierie, gouvernance, ...)
- Développement personnel
- Engagement spirituel au service de l’humanité
Ceux qui développer leur conscience au plus haut niveau humainement possible (analogie avec l’entrainement pour les jeux olympiques), ceux-là auront une approche de la méditation profondément différente de ceux qui ne recherchent qu’à se détendre de temps à autre. Pour les premiers, c’est toute la vie qui sera puissamment disciplinée et organisée autour de la méditation : rythme de vie, alimentation, entrainement mental, entrainement physique, ... Tandis que pour les seconds, on pourra tout à fait ne méditer occasionnellement que pendant quelques minutes en improvisant avec insouciance. Là encore, il est clair que les deux approches sont valables dans leurs contextes respectifs.
Ainsi, avant d’essayer d’évaluer si une forme de méditation est correcte il nous faut être parfaitement clair sur nos objectifs propres. Une forme peut être correcte pour nous, mais pas pour notre voisin.
Les formes de méditation
Afin de simplifier (beaucoup) le sujet, on peut envisager les diverses formes de méditation de manière incrémentale en disant que :
- Pour se détendre on peut apprendre des techniques de relaxation .
- Pour entretenir sa santé mentale et éliminer le stress, on pourra se relaxer et apprendre des techniques simplifiées de pleine conscience, ou Attention (mindfulness meditation)
- Pour développer un mental calme et clair, on pourra en plus de ce qui précède chercher à développer la concentration (samatha, concentration en un point, ...)
- Pour le développement personnel, à ce qui précède on pourra ajouter des pratiques plus avancées (en intensité et profondeur) de la concentration (samatha) et de la pleine conscience (vipassana, permettant de voir les choses telles qu’elles sont en profondeur)
- Lorsqu’il y a un véritable engagement spirituel au service de l’humanité, tout ce qui précède pourra être utilisé mais réorganisé, développé, réorienté et poussé à l’extrême dans un savant équilibre des opposés ou les divers stades de concentration (jhana) permettront de développer considérablement l’Attention (sati, forme supérieure de mindfulness), menant alors à la maitrise de l’intuition et de l’inspiration conscientes.
Aujourd’hui, partout dans le monde, la méditation se développe rapidement et permet à un nombre croissant de personnes de bénéficier de cet outil précieux. Mais bien souvent les néophytes se lancent dans l’apprentissage sans avoir au préalable les idées claires sur le but poursuivi et la forme qui leur convient. On rencontre aussi des enseignements qui sont donnés de manière dogmatique et tentent d’imposer leur méthode comme la « véritable et seule » bonne méthode (comme si on disait que la pratique du tennis deux heures par jour était la seule pratique sportive valable).
Contribue aussi à la confusion générale le fait que sous une même dénomination, on retrouve parfois des enseignements très différents voire complètement opposés. Par exemple, la méditation vipassana peut être abordée très différemment d’un endroit à l’autre du monde, d’une tradition à l’autre, d’un enseignant à l’autre. Dans la tradition Theravada les deux formes les plus pratiquées sont samatha (pratique visant à développer le calme mental et la concentration) et vipassana (pratique visant à développer l’Attention ou Mindfulness2). Bien souvent samatha sera enseigné aux débutants puis on introduira progressivement vipassana en expliquant qu’une fois que l’on a réussi à développer un peu de calme mental et de concentration, on pourra commencer à essayer d’expérimenter la « vision profonde» (vipassana) via le développement de l’Attention (sati). Mais on trouve aussi des enseignements qui utiliseront vipassana dès le début en le présentant comme suffisant en soi. Certains pratiquants présenteront vipassana comme étant une méthode où l’on « scanne » le corps (« body scan vipassana ») en détail. D’autres enseigneront au contraire que vipassana consiste à focaliser son attention sur la pointe du nez, quand d’autres écoles affirment qu’il faut faire abstraction du corps physique et observer mentalement quelque chose d’abstrait...
Qui a raison ?
Tout le monde et personne à la fois car chaque enseignant prend le sujet de la méditation par un angle particulier et développe certains exercices dans un but particulier. On en revient donc à la question du but. Cherche-t-on à développer la concentration en premier ? Cherche-t-on à développer la « pleine conscience » (Attention, mindfulness ou sati...) en premier ?
1 La méditation n’est pas la même chose que la relaxation, bien qu’elle l’utilise comme préalable. La relaxation est une détente du corps et de l’esprit, tandis que la méditation est une « tension » (concentration) de l’esprit installée lorsque le corps est détendu. Plus précisément, l’apprentissage de la méditation se fait le plus souvent en commençant par la relaxation du corps, ce qui permet d’installer le calme physique nécessaire (dans les stades initiaux) à l’apaisement du mental.
2 En pali, la langue du canon bouddhiste, le mot exact est « sati ». Il a été traduit en anglais par «mindfulness» et en français par « pleine conscience » ou « Attention » selon les ouvrages.
Les étapes majeures de la méditation
Que l’on soit débutant ou praticien avancé, toute forme de méditation repose sur observation attentive et objective. Lorsque on se demande s’il faut commencer par chercher à développer la concentration avant d’aborder l’Attention, ou s’il ne faudrait pas plutôt aborder les choses dans le sens inverse, on se trompe en fait de question. Non seulement tout dépend de l’élève et de ses acquis (est- il déjà capable de se concentrer un minimum, a-t-il déjà un certain sens de l’objectivité et de l’équanimité ?) mais de plus, la concentration et l’Attention se renforcent mutuellement et doivent être développées avec équilibre. Lorsque les deux commencent à devenir tant soit peu utilisables, alors on peut distinguer certaines grandes étapes dans la méditation :
La relaxation et le calme physique
- Il s’agit là de l’étape zéro. C’est le prérequis sans lequel le débutant ne peut
envisager la méditation. Avant de débuter la méditation, l’étudiant aura tout intérêt à adopter une certaine hygiène de vie : une alimentation insuffisante ou au contraire trop lourde pourra être un obstacle à l’entraînement du mental ; de même pour le manque de sommeil, qui ne permettra pas une concentration adéquate. Il conviendra aussi de pratiquer une activité physique ou sportive suffisante pour permettre la détente et la relaxation du corps lors des séances de méditation.
La concentration
- C’est la première étape : avoir suffisamment de concentration pour être capable
d’observer calmement le sujet de la méditation pendant quelques minutes. Si l’attention ne peut se fixer plus de quelques secondes, le débutant n’arrivera pas à observer quoique ce soit efficacement.
- Cette étape est alors un véritable palier que l’on peut parfois mettre plusieurs années à atteindre. Pendant ce temps le méditant développera de plus en plus sa capacité de focalisation de l’attention en un point (concentration de plus en plus intense, au moyen de la volonté) et en même temps sa capacité de Pleine Conscience (mindfulness, sati), c’est-à-dire la faculté d’observer le sujet de sa méditation de manière objective, sans jugement, avec une totale équanimité permettant la perception consciente directe de l’objet tel qu’il est et non tel qu’on le conceptualise.
- Ces deux facultés (concentration et mindfulness) se développent ensemble, la première requérant de la volonté et la deuxième de l’absence de volonté (détachement, équanimité, objectivité, absence de Moi ou de l’égo).
- Traditionnellement, la faculté de concentration s’acquiert en s’appuyant sur les perceptions physiques : le pratiquant pose son attention sur sa respiration, il peut également scanner son corps en observant les sensations perçues par les cinq sens ou utiliser une technique similaire basée sur les mouvements de la conscience liées aux perceptions physiques.
La capacité d’observer indirectement de manière détachée mais prolongée les mouvements de la pensée et de la conscience
- C’est une étape importante qui survient après des mois ou des années de pratique. A force de fixer son attention sur la perception du souffle ou les perceptions physiques, le praticien se familiarise peu-à-peu avec le fonctionnement de son mental et l’enchaînement des pensées, jusqu’à prendre un jour conscience qu’il peut, de manière indirecte, observer l’émergence, le développement et la disparition des pensées et percevoir objectivement et directement le mouvement de conscience (l’intention abstraite, l’état non conceptuel) d’où elles proviennent.
- Cette observation se fait au début de manière indirecte car l’observation directe modifie immanquablement les pensées observées, d’où la nécessité d’avoir un objet à observer (la respiration par exemple) ce qui permet de « regarder du coin de l’œil mental », d’être présent, attentif à toute modification y compris du mental et des pensées. Le sujet de méditation importe peu en fait, il est un prétexte pour pouvoir calmer son esprit et observer indirectement les pensées et la conscience.
La capacité d’observer de manière directe et profonde la conscience elle-même
- La capacité de concentration et d’attention sont désormais acquises dans une large mesure ; le praticien s’est familiarisé avec l’enchaînement des pensées ; il détourne alors son attention des phénomènes physiques (respiration, souffle,
perception du corps) pour la porter sur la pensée elle-même.
- Là encore, plusieurs étapes se succèdent : observation de l’enchaînement des pensées, puis attention posée sur la conscience elle-même, la substance même de
la pensée, et sur ses différentes qualités.
- Cette étape ne requiert plus alors de sujet de méditation.C’estl’entraînementet
le développement de la force ou la puissance d’observation parfaitement neutre, détachée. Là encore, des années de pratique peuvent être nécessaires avant d’atteindre cet étape, l’illusion du Soi étant progressivement dépassée et devenue hors-sujet.
- Au-delà de tout symbole, de tout concept, c’est la capacité de voir objectivement les choses telles qu’elles sont.
- C’est une forme de contemplation. Ce n’est pas l’intellect qui contemple mais la conscience pure.
... il existe d’autres stades, d’autres étapes plus avancées dont il est inutile de parler.
La méditation est une science
Nous sommes tous humains et notre esprit fonctionne globalement et physiologiquement de la même manière. Si on met de côté les dogmes religieux, les croyances philosophiques et les rites traditionnels, on peut observer le fonctionnement de notre esprit de manière factuelle et chercher à l’entrainer, à le maitriser via une pratique rigoureuse, laïque et scientifique. Il ne s’agit certainement pas de jeter à la poubelle des siècles d’expériences, de connaissances, de témoignages ... et de tout reprendre à zéro. Ce serait une erreur majeure et une grande perte de temps. On peut en revanche considérer ce que nos ancêtres nous ont légué, l’étudier, l’expérimenter, recouper les informations des différentes traditions, écarter les aspects strictement religieux ou les dogmes obsolètes, puis regrouper dans un langage simple les faits vérifiés et qui semblent donner de bons résultats expérimentaux. Progressivement, c’est ainsi que la science de la méditation émergera.
Comprenons qu’il y a 26 siècles et plus, les seules formes d’enseignements disponibles étaient orales et transmises de maitre à disciple. Il n’y avait pas ou très peu d’écrits disponibles, et encore moins de gens capables de les lire. L’état d’esprit des populations était fortement teinté de croyances, dogmes, superstitions, ... Les sages qui eux possédaient la connaissance et maitrisaient l’art du raisonnement et des sciences mentales supérieures devaient transmettre leurs savoir en tenant compte des traditions orales et de l’absence d’entrainement mental de la population.
Aujourd’hui au 21ième siècle, les conditions sont fort différentes. Nombreux sont ceux qui ont eu la chance d’aller à l’école et d’apprendre les rudiments de l’approche scientifique et de la pensée rationnelle et de développer l’habitude d’étudier et de se concentrer. Nous n’avons plus besoin des mêmes symboles qu’il y a 26 siècles, ni de la même manière d’enseigner. Fondamentalement notre esprit fonctionne de la même manière que celui de nos ancêtres et les grandes étapes de la méditation sont les mêmes aujourd’hui que celles d’hier. Mais la forme peut être adaptée à nos besoins modernes. Elle peut être laïque et cependant profonde et efficace. L’obligation d’avoir un « Maître » était absolue lorsque l’enseignement était essentiellement oral, et la notion de lignée était indispensable et source
de vénération (la dévotion émotive étant alors une attitude facilitant grandement l’apprentissage transmis oralement). Aujourd’hui les livres, les conférences, l’école publique, les vidéos, Internet, ... sont des moyens qui changent profondément l’approche de l’éducation qui peut alors être transmise non plus seulement oralement, mais via tous les moyens multimédias à notre disposition.
Bien évidemment à « haut niveau » le recours à un enseignement personnalisé et à un « maître » (on dirait aujourd’hui « un professeur ») reste fondamental, exactement comme un doctorant requiert un directeur de thèse à l’université. Mais pour les très nombreux débutants et élèves à des stades intermédiaires, les moyens d’apprentissage modernes (livres, cours académiques, ...) peuvent être d’un grand secours.
Si l’enseignement et les supports d’enseignement changent, alors la méditation pourra progressivement passer dans une ère de développement scientifique et devenir disponible pour toutes les populations. Puisse alors cet outil puissant nous permettre de découvrir objectivement les états de conscience qui se cachent derrière le mental et ses concepts.